1965 : Starlite, la première opération des Marines
L’opération Starlite se déroule du 18 au 24 août 1965 près de Chu Lai. Elle représente la première offensive majeure menée exclusivement par une unité militaire américaine. Connue au Vietnam sous le nom de bataille de Van Tuong, cette opération mobilise plus de 5 000 Marines américains contre le 1er régiment Viêt-Cong, illustrant l’escalade de l’engagement américain et posant les bases d’un conflit prolongé.
Planification et préparation
En mars 1965, le président Lyndon B. Johnson autorise le déploiement de troupes de combat, et la 9th Marine Expeditionary Brigade débarque à Da Nang. En août, la présence militaire américaine s’accroît avec l’établissement de bases comme Chu Lai, où est stationnée la 1st Marine Division. Des rapports de renseignement, fournis par le général de division Nguyen Chanh Thi du I Corps de l’ARVN (NDA : Armée de la République du Vietnam), signalent que le 1er régiment Viêt-Cong se prépare à attaquer Chu Lai, incitant à une réponse préventive. Le lieutenant-général Lewis W. Walt, commandant de la III Marine Amphibious Force (III MAF), conçoit l’opération Starlite sur la base de ces informations. L’objectif est de neutraliser la menace Viêt-Cong sur Chu Lai, une base aérienne et un centre de communication stratégiques.
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| Le lieutenant-général Lewis W. Walt |
Le plan repose sur une attaque combinée, mobilisant des unités terrestres, aériennes et navales, avec des déploiements de Marines par hélicoptères et des débarquements amphibies pour encercler et détruire l’ennemi. L’opération est baptisée « Starlite » à cause d’une erreur typographique dans les ordres, initialement prévue sous le nom de « Satellite ». La planification privilégie la rapidité et le secret. Seuls quelques officiers de l’ARVN, dont les généraux Thi et Lam, sont informés pour garantir la sécurité opérationnelle. Les renseignements sont confirmés par un déserteur, Vo Thao, et des interceptions de signaux, localisant les Viêt-Cong sur la péninsule de Van Tuong, à environ 16 kilomètres au sud de Chu Lai.
Une attaque combinée
L’opération Starlite débute le 18 août 1965 avec une
précision chirurgicale, mais rencontre rapidement une résistance acharnée. Une
force de blocage de la Company M, 3d Battalion, 3d Marines, débarque dans la
nuit du 17 août pour sécuriser des positions à 4h00 le 18 août, établissant un
front d’un mile le long de la côte pour empêcher toute fuite Viêt-Cong vers le
nord. Cette manœuvre, bien que discrète, place les Marines dans une position
vulnérable, exposés à des tirs sporadiques dès les premières heures.
À 6h30, le 3d Battalion, 3d Marines, effectue un débarquement amphibie sur Green Beach, à An Cuong 1, marquant le début de l’assaut principal. Les compagnies K et I, descendant des péniches de débarquement, sont immédiatement accueillies par des tirs nourris de fusils et de mitrailleuses Viêt-Cong embusqués dans les dunes et les haies environnantes. La compagnie K, avançant vers la colline 22, un point stratégique dominant, s’empare de l’objectif après un combat intense, mais perd le sergent Frank H. Blank, tué par un sniper, et voit le sergent d’état-major James A. Campbell blessé par des éclats d’obus. La compagnie I, progressant vers l’ouest pour établir un lien avec les forces héliportées, subit des pertes sévères, notamment le capitaine Bruce D. Webb, abattu alors qu’il dirige ses hommes sous un feu croisé. Des chars lance-flammes M67, des chars M48 et des véhicules M50 Ontos, équipés de canons sans recul, fournissent un appui crucial, réduisant les positions fortifiées Viêt-Cong, mais les bunkers camouflés et les tranchées ralentissent l’avance.
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| Les Marines débarquent à Chu Lai |
Simultanément, entre 6h45 et 8h15, le 2d Battalion, 4th Marines, est déployé par hélicoptère sur trois zones d’atterrissage stratégiques : LZ Red, LZ White et LZ Blue, à l’aide de 24 Sikorsky UH-34D Seahorses et 8 Bell UH-1E Hueys de l’armée. Cette insertion héliportée, l’une des premières de cette ampleur dans la guerre du Vietnam, vise à couper les voies de retraite Viêt-Cong et à les encercler. La compagnie G, atterrissant à LZ Red, progresse sans opposition initiale, occupant des positions élevées pour sécuriser le flanc nord. À LZ White, la compagnie E subit des tirs immédiats, perdant 2 hommes et comptant 15 blessés dans les premières minutes, alors que des tireurs Viêt-Cong, embusqués dans des rizières, exploitent le terrain découvert. LZ Blue, où atterrit la compagnie H, devient le théâtre des combats les plus féroces, les Marines se retrouvant au cœur du périmètre défensif du 60e bataillon Viêt-Cong. Les bunkers renforcés et les nids de mitrailleuses infligent des pertes significatives, mais les Marines, appuyés par des frappes aériennes rapprochées et des tirs d’artillerie, maintiennent la pression.
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| Les hommes du 2/4th Regiment |
L’appui combiné joue un rôle déterminant. Les destroyers USS Orleck (DD 886) et USS Pritchett (DD 561), ainsi que le croiseur USS Galveston (CLG 3), déversent des salves précises sur les positions Viêt-Cong, tandis que l’artillerie terrestre tire 2 446 obus le premier jour. Les 78 sorties aériennes, avec des avions F-4 Phantom et A-4 Skyhawk, larguent des bombes et du napalm, désorganisant les contre-attaques vietnamiennes. Cependant, la coordination entre les unités terrestres et les appuis aériens et navals rencontre des défis, certains tirs d’artillerie tombant dangereusement près des positions américaines, révélant les limites de la communication radio sous pression.
Les Viêt-Cong, bien préparés, adoptent des tactiques de guérilla sophistiquées. Ils combattent depuis des bunkers camouflés et des tunnels interconnectés, se repliant à chaque fois que les Marines prennent l’avantage, pour mieux tendre des embuscades. L’embuscade la plus dramatique frappe le convoi de ravitaillement Column 21, entre Nam Yen et An Cuong, le 18 août. Ce convoi, transportant des munitions et des vivres, est pris en tenaille par des tireurs Viêt-Cong embusqués dans des haies et des fossés. En quelques minutes, 5 Marines sont tués, et la plupart des 30 hommes sont blessés, seuls 9 restent aptes au combat. Les Marines ripostent avec des tirs de mortiers et des contre-attaques au cours desquelles 60 Viêt-Cong sont tués, mais l’incident révèle la vulnérabilité des lignes d’approvisionnement dans un terrain hostile.
Le 19 août, les Marines consolident leurs gains, repoussant les Viêt-Cong vers le sud et l’est. Les combats, bien que moins intenses, restent ponctués d’escarmouches et de tirs de snipers. À partir du 20 août, des unités de l’ARVN, incluant le 2d Battalion du 51st Regiment et le 3d Vietnamese Marine Battalion, rejoignent l’opération, effectuant des ratissages méthodiques pour éliminer les poches de résistance. Ces unités, bien qu’efficaces, manquent de la coordination étroite avec les Marines, ce qui limite leur impact. Les opérations se prolongent jusqu’au 24 août, les Marines et l’ARVN sécurisant la péninsule de Van Tuong, bien que de petits groupes Viêt-Cong parviennent à s’échapper dans la jungle.
Bilan
L’opération entraîne des pertes significatives. Les Marines américains déplorent 45 tués et 203 blessés, 5 autres succombant à leurs blessures, portant le total à 50 morts. Les pertes Viêt-Cong s’élèvent à 614 tués, 6 capturés et 111 armes saisies, avec des estimations suggérant jusqu’à 1 430 pertes totales selon certains rapports. Cependant, les Viêt-Cong revendiquent des pertes américaines plus élevées, affirmant plus de 900 victimes, 22 chars détruits et 13 avions abattus, des chiffres exagérés et non corroborés. L’opération est considérée comme un succès tactique, validant des tactiques combinées comme l’enveloppement vertical, l’assaut amphibie et l’utilisation d’appuis depuis la guerre de Corée. Elle met en évidence la ténacité des Marines et annonce l’engagement américain dans une guerre conventionnelle, influencé par la stratégie du Search & Destroy (NDA : recherche et destruction) du général Westmoreland, au détriment de l’approche en « enclave » des Marines.
Implications stratégiques et controverses
L’opération Starlite marque le début des opérations de combat américaines à grande échelle, passant d’un rôle de conseil à un engagement direct. Elle renforce l’approche conventionnelle de Westmoreland, visant à détruire les unités principales ennemies, mais souligne aussi la résilience des Viêt-Cong, le 1er régiment se reconstituant pour poursuivre le combat. Cette résilience déconcerte les Marines et met en lumière les défis de lutter contre une insurrection dans un terrain dense, avec des fortifications Viêt-Cong comme des bunkers, des tunnels et des pièges. Des controverses entourent les chiffres des pertes, car les revendications Viêt-Cong contrastent avec les rapports américains. Les débats stratégiques persistent sur l’adéquation des tactiques conventionnelles face à une approche de contre-insurrection. Le général Nguyen Chi Thanh conclut que les Américains ne peuvent anéantir les régiments Viêt-Cong malgré leur puissance de feu, tandis que le lieutenant-général Victor Krulak insiste sur l’importance du renseignement obtenu par des actions civiques et sur l’avantage des positions basées en mer pour contraindre les Viêt-Cong à des confrontations frontales tout en offrant des bases sécurisées.
Les enseignements
L’opération Starlite est pleine d'enseignements cruciaux qui influenceront la conduite des futures opérations. Elle valide tout d’abord l’efficacité des tactiques
combinées, notamment l’enveloppement vertical par hélicoptères et les
débarquements amphibies, qui permettent une projection rapide de la force sur
des terrains complexes. Ces approches, perfectionnées depuis la guerre de
Corée, démontrent leur pertinence face à un ennemi mobile, mais soulignent aussi
la nécessité d’une coordination sans faille. Les incidents de tirs amis, bien
que rares, et les difficultés de communication radio sous le feu exposent des
faiblesses dans la synchronisation entre unités terrestres, aériennes et
navales, incitant à des améliorations dans les systèmes de commandement et de
contrôle.
Ensuite, l’opération met en lumière les limites de la puissance de feu conventionnelle face à une insurrection. Malgré l’emploi massif d’artillerie, de frappes aériennes et de tirs navals, les Viêt-Cong parviennent à infliger des pertes significatives grâce à leurs fortifications et leur connaissance du terrain. Les bunkers, tunnels et pièges, souvent indétectables par les reconnaissances aériennes, neutralisent partiellement l’avantage technologique américain. Cette résilience pousse certains officiers, comme le lieutenant-général Victor Krulak, à plaider pour une approche de contre-insurrection axée sur le contrôle des populations et le renseignement local, plutôt que sur la destruction des unités ennemies. Cependant, la stratégie de Westmoreland, renforcée par le succès tactique de Starlite, dominera l'orientation des opérations américaines jusqu'à l'été 1968.
L’embuscade de la Column 21 révèle une autre leçon critique :
la vulnérabilité des lignes logistiques. Les convois, essentiels pour maintenir
l’élan offensif, deviennent des cibles privilégiées pour les Viêt-Cong qui exploitent le terrain pour tendre des embuscades dévastatrices. Cette faiblesse
incite à renforcer les escortes et à développer des tactiques de sécurisation
des routes, bien que ces mesures restent imparfaites face à un adversaire insaisissable. De plus, l’opération expose les défis de l’intégration avec les
forces de l’ARVN, dont la coordination limitée avec les Marines réduit
l’efficacité des opérations conjointes, un problème qui sera récurrent tout au long de
la guerre.
Sur le plan humain enfin, Starlite souligne l’importance de
l’entraînement et du moral. Les Marines, confrontés à un ennemi déterminé et à
un environnement hostile, font preuve d’une ténacité remarquable, comme en
témoignent les actes d’héroïsme constatés tout au long des combats. Cependant, les pertes, bien que
relativement faibles par rapport aux opérations ultérieures, marquent les
esprits et alimentent un sentiment de « dette de sang », terme utilisé par
l’historien Otto J. Lehrack pour décrire le coût humain accumulé. Ce fardeau psychologique,
combiné à la prise de conscience des défis tactiques, influence la perception
de la guerre par les troupes et le public américain, posant les prémices d’une
désillusion croissante.
Enfin, l’opération Starlite agit comme un laboratoire pour
les deux belligérants. Pour les Américains, elle confirme la viabilité de la
puissance projetée depuis la mer, avec Chu Lai comme modèle de base avancée.
Pour les Viêt-Cong, elle révèle la nécessité d’éviter les affrontements directs
avec les forces américaines, renforçant leur recours à la guérilla et aux
tactiques de harcèlement. Ces leçons façonnent les stratégies des années
suivantes, les Viêt-Cong adaptant leurs mouvements pour minimiser l’exposition
aux frappes massives, tandis que les États-Unis intensifient leurs opérations
de recherche et destruction, souvent au détriment d’une approche plus nuancée.
Références
https://www.usmcu.edu/Portals/218/The_First_Fight_Starlite.pdf
Ferreira, Sylvain, Les chars du Corps des Marines au Vietnam, Batailles & Blindés n°108, Caraktère, 2022
Lehrack, Otto (2004). The First Battle - Operation Starlite and the Beginning of the Blood Debt in Vietnam. Casemate.








Merci pour cet article. Les opérations aéroportées américaines utilisant largement les hélicoptères au Vietnam sont le fruit de l'observation des tactiques de l'armée française employées en Algérie via les techniques qu'employait Marcel Bigeard avec ses parachutistes pour déloger la résistance algérienne dans les montagnes de l'arrière pays. Les USA finançaient nos guerres coloniales car on se battait contre l'expansion du communisme en Asie.
RépondreSupprimerBonsoir Monsieur Ferreira,
RépondreSupprimerEst-ce que vous avez prévu un article sur La Drang ? Hâte de vous lire… mais peut-être était-ce déjà vous dans Var Victis il y a quelques années ? Merci pour tout et bonne continuation.